-Feles- Qui naquit chat, court après les souris. FINI.

PHYSIQUE : Alors comme ça, vous abordez d'office un des points les plus intéressants ? Très bien, allons y. Je suis beau; c'est évident, & je pense que vous êtes d'accord avec moi sur ce point. Avez-vous vu ces cheveux d'un noir d'encre, tombant sur ces larges épaules ? Ces larges épaules qui font office de préface à un corps d'Apollon, dont vous rêverez sûrement encore cette nuit ? Et ces bras, ces bras qui derrière une allure plutôt frêle sont d'une résistance incroyable, comme les pattes d'un chat. Relevez donc un peu le regard, c'est indécent. Concentrez-vous plutôt sur mon visage, oui. Détaillez donc cette bouche pleine, ces traits robustes mais efféminés. Délicats, androgynes. Oui, je pousse le vice jusqu'au maquillage. Voyez donc comme ces yeux sont cerné d'un noir semblable à la couleur de leur iris. Approchez-vous, je ne mords pas. Détaillez mon profil, admirez la courbure de mes cils - Je suis une œuvre. Avouez-le ou je vous infligerai la pire des punitions. Voyez, je suis un homme d'influence, & riche vêtu. Je me dois d'afficher mon statut. Ainsi je ne porte que des costumes lorsque je fréquente les autres du clan; de grands couturiers français. Blanc, noir. Les couleurs décrédibilisent. Fixez moi. Droit dans les yeux. Je suis imposant. Je peux vous faire avouer le pire de vos péchés simplement en soutenant votre regard. N'est-ce pas un horrible supplice, que de sentir deux pupilles d'une noirceur impeccable entrer dans votre cœur, votre âme, votre esprit & votre mémoire pour tout poignarder, sans bouger d'un centimètre... ?

Je suis un homme sûr de moi. J'ai une confiance inouïe en mon charme, en mon influence, & surtout en mon argent. Lors de notre première rencontre, vous ne me trouverez certainement pas très futé, mais sachez que je cache bien mon jeu. Je ne suis peut-être pas aussi fin stratège que ce cher Zero, mais finalement, j'en connais un rayon sur les violences psychologiques. Mon premier problème vient surtout de mes impulsions. Je suis capable de monter toute une stratégie sur papier, à tête reposée; mais lorsqu'on touche au point sensible, je suis le premier à tout foutre en l'air. Littéralement. Ma maison en garde encore quelques séquelles. J'ai fait un grand travail sur moi, à ce sujet, mais il n'était pas assez suffisant. Mes nerfs sont moins fragiles qu'avant, certes, mais il est simple de me faire craquer. Voyez-vous, je ne suis pas vraiment un prince charmant; la fidélité n'étant pas mon principal atout, je suis pour l'amour libre, le sexe libre, la liberté totale. Je suis fourbe, je pense que toutes les stratégies sont bonnes pour séduire une femme, même si, la plupart du temps, étaler quelques billets suffisent. Mais je peux me montrer différent, très différent, en compagnie de certaines personnes, comme par exemple Saku Takehiro. Je ne saurais expliquer pourquoi, elle a cet effet étrange sur moi, qui disparais dès qu'elle sort de mon champ de vision. C'est trop étrange pour être décrit, & j'ai moi même du mal à y mettre des mots.

Je pense que vous l'aviez deviné, mon cher, mais je suis fait pour diriger. Je n'accepte d'ordre de personne, on ne me contredit pas. Je suis le grand patron, on m'obéit, on se soumet, c'est moi qui commande. J'ai été le seul à hausser le ton face à mon père. Ah, si vous aviez vu mon frère, vous n'auriez même pas cru qu'il faisait partie de ma famille. Dire que c'est ce lâche qui aurait dû prendre la succession de Père ... Encore une fois, je vous ai amené sans que vous ne vous en rendiez compte sur une autre facette de ma personnalité. Admirez donc mes multiples visages - je suis un Diamant. Un de ces visages est très rancunier. Il n'accepte pas les coups bas, les garde en mémoire, les rend puissance 10. Avec cette partie de moi, c'est œil pour œil, dent pour dent. Ne jamais pardonner, ni sa famille, ni ses amis. Pardonner est un signe de faiblesse.

Comment ça, mon histoire ? Ne la connaissez-vous pas déjà ? Ne suis-je pas assez célèbre encore ? Comment avez-vous seulement pu passer à côté de ma vie légendaire, dans cette ville ? Décidément, vous n'y connaissez vraiment rien, mon cher. Alors je vais tout vous raconter, vraiment tout. Me mettre à nu, comme ça, devant vous; même si nous ne nous connaissons que trop peu, & que je ne sais rien sur vous. Mais, pensez-vous, je m'en fous royalement. Alors commençons par le commencement, & ne nous attardons pas sur des blablas.

Je suis né ici. A vrai dire, je ne connais que cette ville. Mes parents ne connaissaient que cette ville. Mes grands parents de même. Nous régnons sur le clan Feles depuis des générations. J'espère que vous avez compris à présent que je suis prédestiné... Plus ou moins, évidemment. Car il y a avait cet autre, celui que je devais appeler mon frère. Il était né trois années avant moi, & depuis sa naissance, Père n'attendait que le jour où il serait un adulte & pourrait prendre la tête du clan. Seulement je n'ai jamais supporté ça. Immergez-vous, entrez dans mon esprit, et tentez de ressentir la frustration que j'ai ressentie. Je suis un homme fort. Enfant, j'étais un dur. Je terrorisais les autres à l'école. Contrairement à l'Autre, j'étais plus ou moins libre. Les autres clans ne s'intéressaient pas autant à moi que je ne m'intéressait à eux, je suis passé plus ou moins inaperçu. Pas aussi intéressant que mon frère pour eux. J'étais là en trop. Même plus le fils de, j'étais le frère de. & c'était horrible.

J'ai passé une enfance dans une cage dorée. Une cage dont les barreaux avaient la particularité de vous retirer un peu de votre fierté à chaque fois que vous essayez de passer entre ceux-ci. Imaginez-vous un instant cette frustration que j'ai pu ressentir. De cette cage, j'avais pleine vue sur le piédestal de l'Autre; on me forçait même à lui vouer un respect absolu. Mais que voulez-vous, je n'ai pas su jouer ce petit jeu longtemps, et rapidement mes pulsions ont pris le dessus. Je le haïssais cent fois plus qu'avant, je rêvais de le voir souffrir autant que je souffrais; je voulais qu'il baigne dans une jalousie semblable à la mienne. Car oui, et je l'avoue, ce n'était que de la pure jalousie. Ces idiots du Conseil n'ont même pas tenté de voir si j'étais meilleur que l'Autre ou non, ils ont vu qu'il était l'aîné. Mais cet enfant été né fourbe, et il n'y avait pas une once de courage ou d'honneur en lui. Or, l'honneur était sûrement la seule valeur que mon Père occupé m'avait jamais inculquée. D'après lui, c'était mon devoir de tout faire pour protéger le clan & la famille. Pas de pitié.

Alors vous devez vous demander ce que j'ai fait. Et bien je l'ai tué. N'avez vous jamais eu de portée de petits chats à la maison ? C'est tout simple comme situation. Vous commencez tranquillement par avoir une femelle, et puis un jour, elle met bas. Deux adorables chatons. Enfin, non, l'un est adorable, et l'autre répugnant, chétif, & même qu'il soit né le premier, c'est un véritable avorton. Que fait-on dans ces cas là, sachant que maman ne veut pas avoir trois chats à la maison ? On en noie un. C'est la sélection naturelle, la dure loi de la jungle. Et dans une famille comme la notre, deux garçons, c'est trop.

Je me souviens encore très bien du jour où je l'ai tué. J'avais à peine mes dix-neuf ans, & lui en aurait 23 dans les prochaines semaines. J'avais remarqué que ces derniers temps, il changeait énormément. Ses joues se creusaient, d'énormes cernes apparaissaient sur son visage de rejeton, et son nez saignait de temps à autres. Il ne m'en a pas fallu plus pour comprendre - il se droguait. Ce félon se fournissait chez les Lupus, et leur refilait une quantité inimaginable de fric pour avoir sa dose. La famille était en danger, si le peuple apprenait qu'un Kagauchi dépendait des Lupus, elle se ferait renverser & pillée jusqu'au dernier centime. Alors j'ai fait comme Père m'a dit de faire - j'ai sauvé notre honneur en noyant le chaton en trop. Je me suis moi-même sali les mains. Je ne rentrerai pas dans les détails, puisqu'évidemment, ils sont inintéressants. Je ne voudrais pas vous couper l'appétit, mon cher. Alors continuons. Je vais vous raconter ce qu'il s'est passé après.

Vous aviez évidemment compris que j'étais enfin libre d'agir. Je n'avais plus qu'à attendre que Père crève enfin & je serais le chef du clan Feles... J'attendais ça depuis si longtemps... Plus que quelques mois & j'atteignais enfin le but de ma vie. En plus, Père souffrait d'une maladie qui lui bouffait les poumons - son espérance de vie fut d'autant plus détruite. Arrivez-vous à imaginer le bonheur que j'ai ressenti à cet instant ? La voie était presque entièrement libre. Un peu d'argent à l'infirmière & elle surdosait le traitement de Père - ce qu'elle fit, évidemment. Dans la semaine j'étais devenu chef.

J'ai alors entièrement changé la politique du clan. Voyez-vous, Père était complètement centré sur l'offense, pensant que le jeune Zero serait là en guise de défense si tout tournait mal. Mais avez-vous une seule seconde cru que j'avais confiance en Zero ? Non, je n'attends rien de lui d'autre que la paix. Et encore, je préfère être préparé au cas où il prépare une attaque envers nous. S'il y a bien quelqu'un de plus intelligent & plus avide que moi ici, c'est Zero Takehiro. Décidément, nous devons nous méfier de tout le monde ici. En attendant, le petit Zero est bloqué. Il ne fera rien avant quelques mois, ce qui me laisse tout le temps nécessaire pour renforcer notre sécurité. La mienne avant tout. Alors prochainement j'engagerai encore quelques hommes pour garder le QG & les membres importants du clan. Nous devons être sur nos gardes, ne jamais faiblir psychologiquement. C'est un combat contre le vide, que nous menons, mais mieux vaut prévenir que guérir. Tout ceci en amassant le plus d'argent que possible, bien sûr.